Dans l’œil du cyclone, un sakura.
… Voilà. S’il fallait décrire Hanami Sonata, c’est ainsi que je le ferais : la beauté poignante d’un sakura en floraison, dans l’œil du cyclone. Violente est la tempête tout autour, tandis que se jouent simultanément le sort d’une gamine coincée dans l’univers digital du Grid et le devenir des citoyens fays à travers deux pays, et que des êtres en quête d’unité primordiale se cherchent et s’éprouvent.
Mais au centre, au cœur, au plus précieux, il y a la merveille absolue de visions qui ne me quittent plus — la paix d’un lac au Japon où repose un grand trésor, la splendeur d’un cerisier à Frontier —, et la résonance unique de cœurs qui s’accordent dans la contemplation de la nature, y communient par-delà le fracas du monde. Pour sceller l’enchantement, il fallait rien de moins que la plume d’une grande amoureuse du peuple de sève japonais — et il fallait bien un si puissant enchantement, pour accomplir la symbiose entre ce dialogue intime et tendre avec la beauté et les éclats et échos torturés d’une histoire d’amour et d’exil.
Mais c’est aussi, Hanami Sonata : une tragédie ancienne, toujours plus douloureuse (ô combien) à chaque relecture, à présent que l’on sait les éclairs en puissance dans les cieux qui s’assombrissent. À une différence, essentielle : pas de chœur encombrant, ici, pour se lamenter dans l’impuissance, mais une empathie à l’œuvre, magnifique, dans la présence, le regard et l’action des compagnons du duo que forment le Maître de Kodo et la Maîtresse d’Échos.
Et encore : le récit d’une éclosion, d’un avènement à soi par la voie vers l’Autre et par la torture d’une cruelle décantation intérieure. Il y a là une dureté, une violence intérieure à l’œuvre qui n’est pas sans m’avoir rappelée ce que traversait Angharad au fil de La Sève et le Givre. Pour que, de la formidable créature féerique qu’était Nicnevin, Monarque d’Ombre et grande guerrière, émerge la Fay Crescent, il fallait un sacré choc tectonique. C’est à cette transformation interne, ce changement nécessaire, que l’on assiste là — en recevant au cœur la douleur de cette grande âme —, ainsi qu’à de nouvelles variations sur le thème du destin, des masques et des responsabilités que l’on porte.
Ah, et ceci : un carrefour, d’importance cruciale. Hanami Sonata n’est pas la bouture d’une novella publiée dans Sacra pour rien. Quel superbe espace de rencontre que les pages de ce roman ! Rencontre entre le Japon ancien, ses arts, ses valeurs si magnifiquement incarnées par Izôkage Hatsuyuki, et le monde moderne, entre des cultures en plein exercice d’apprivoisement (culture japonaise et culture occidentale, mais aussi culture féerique), entre des pans de l’univers de Léa Silhol (Vertigen, Frontier, les enfants de Seppen, qui enfin se dévoilent plus longuement en nous accueillant dans l’ancienne demeure familiale, ainsi que des échos de l’ovni Fovéa) qui convergent soudain les uns vers les autres en une danse complexe et passionnante, à ne manquer sous aucun prétexte pour les fans de l’auteure. Et pour les autres, les chats curieux qui désireraient explorer l’œuvre, vous tenez là une sacrée, et sacrément belle, porte d’entrée !
Et sur ce, camarades lecteurs — je m’arrache à l’écran, et m’en vais sourire, devant l’étang, au souvenir précieux d’un lac, en savourant la paix qu’il invoque, et recueillant encore, et encore, du fond du cœur, la belle voix du Maître de Kodo, qu’il invoque tout autant. Et lorsqu’au détour du sentier je saluerai l’amandier, c’est aussi à la silhouette en surimpression d’un cerisier mythique que s’adressera mon salut silencieux, tandis que j’écouterai se déployer, dans la contemplation de ses branches en fleurs, la voix bouleversante de la Maîtresse des Échos.
J’étirerai dans la marche la résonance de ses paroles dans les dernières pages de l’œuvre.
Puis je rentrerai poursuivre ma lecture du Seppenko Monogatari — vers le choc frontal du bolide Gridlock Coda !
1999 – Kyoto
Dans une demeure antique, nichée sous l’épaule des forêts d’Arashiyama, la mangaka Izôkage Fuyue est perdue dans la neige d’un écran, connectée à la matrice par ses cheveux // Près d’un saule, le parfumeur Hatsuyuki, son frère, révèle à cinq visiteurs venus d’occident le secret des tatouages de Kamen // Sous la pluie diluvienne du Grid, un hacker fay court, entre les lames des unités contre-mesures et les strates de Glace Noire // Sous l’aiguille et le sourire d’une ancienne, le destin de la prêtresse de Frontier prend vie comme une étincelle vouée à ne jamais craindre l’extinction, tandis que les couleurs descendent du ciel blanc sur l’aile des feuilles d’érables // Sur un store teinté de bleu nocturne, la silhouette d’un homme inscrit les stances du Bushido, en contrepoint des métaux d’un tableau oublié de Klimt /
… // …
1999-2013 – Seattle / Kyoto / New York / Tokyo…
Entre les Fays de Frontier et les Izôkage, de part et d’autre de l’océan, la trace de ce qui a été noué demeure, le long des fils coruscants de la matrice, de la brûlure des encres, du rouge du sang, du grand blanc des deuils, et de la chute incessante des pétales de cerisier.
Puisque la fraternité et l’amour sont, comme l’Hanami, une boucle qui n’a pas de fin.