« Comment pourrions-nous nous passer de ceux qui parlent de nous mieux que toi et moi ne parvenons à le faire ? », clame Ivy, évoquant ces poètes dont elle partage la passion avec son alter ego, dans le secret de leurs bois bien-aimés.
Je pourrais pousser en écho le même cri du cœur.
Comment s’en passer ? On ne peut pas, bien sûr. *Je* ne peux pas (et ne veux pas).
Et ce nouveau roman de Léa Silhol a dès la première lecture, les premiers chapitres, les premières pages, rejoint la liste de telles nécessités vitales. (Voire plus tôt encore : j’étais déjà tombée in love de son extatique pendant en nouvelle, « Under the Ivy », publié dans Sacra, Parfums d’Isenne et d’ailleurs – I – Aucun coeur inhumain !)
Le récit d’Ivy Winthorpe parle de vibrante manière à la part la plus sauvage et asociale, la plus élémentale, qui brûle en moi. A ces élans qui m’envoient chercher l’unité avec l’univers en courant en forêt aux côtés de ma chienne. A l’ado que j’étais, qui quêtait dans le nœud des écorces le visage du gardien mythique de ses forêts lorraines, que j’imaginais résilient et marqué, comme ses bois, des cicatrices des guerres du XXe siècle. Chez moi, les panneaux militaires interdisant l’accès à la forêt (bardés de sinistres « danger de mort ») sont rouillés, abattus à terre, supports de jeunes pousses tendres qui témoignent de la résilience des lieux ; pour l’héroïne de Sous le Lierre, dans le Wiltshire, les interdits sont bien réels, martelés à coup d’ordres parentaux et de bienséance sociale, et matérialisés par le mur qui enserre la forêt de Savernake.
Face à ces lancinants interdits, au centre des tensions entre schémas sociaux sclérosés et industrialisation, la voix d’Ivy s’élève, haute, claire, puissante comme une force de la nature — et c’est exactement ce qu’elle est, cette jeune lady au cœur féroce, à l’esprit lucide, à la langue irrésistiblement épineuse, splendide d’hybris et d’assurance, à l’instar et à l’égal de son frère équin Aljabbar : une force de la nature, une énergie pulsant, poussant dans un corps qui se veut non humain mais animal. Et une volonté comme une avalanche, capable de tout emporter sur son passage (à commencer par le cœur du lecteur, conquis et complice).
La beauté enivrante de l’hybris, les lecteurs de Léa Silhol la connaissent bien, et ne s’en lassent pas. Avec Ivy, voilà que l’on rencontre, dans l’extase, le focus, et l’élan, l’incarnation d’un Moi qui se perçoit centaure, s’envole en Pégase… et se tend entièrement vers la part de Soi découverte dans le cœur (et le corps) d’un Autre.
Il y a toujours des pieds qui veulent le flanc des montagnes, des plongeurs prêts à descendre au cœur du ventre de la mer ; et des enfants, ivres et joyeux, pour aller exposer leurs visages à la pluie ; danser, peut-être, sous les averses et les déluges. Pour chercher l’extase sur les pics, malgré les terribles rugissements du vent.
Kelis, barde des Cours féeriques, in « Dialectique des Désirs », Avant l’Hiver
(Yessssss à cela, Kelis !)
Nous sommes ici de l’autre côté du miroir, du côté humain, trop humain du Vertigen. C’est un miroir aux alouettes, en quelque sorte, où démêler le vrai du folklore du faux des superstitions corsetées et traditions dénaturantes demande de solides talents d’enquêteur (et un sens de l’humour sacrément acéré, pour résister au sordide des secrets et au minable des pressions sociales dans le marasme desquels il s’agit de naviguer) — mais le vertige et l’ivresse sont là, manifestées en courses folles dans les bois, en cavalcades de changeling ou de centaure, en poèmes comme des affirmations primales de soi et de l’osmose avec la forêt.
Le vertige est là, dans les cœurs sauvages. Je ne dirais pas ‘amen’ à cela, mais… oh YES !!!!!!!!!!!!
*** ** ***
Par-delà un simple mur écroulé, au fond du parc d’un manoir anglais, s’étendent des bois immenses, ceinturés de légendes et d’étranges interdits. L’héritière de cette antique demeure, Ivy Winthorpe, ne se définit que par le regard sarcastique qu’elle jette sur toutes choses, les livres qu’elle lit en cachette, sa nature de centaure et, par-dessus tout, les bois vers lesquels elle ne cesse de s’évader, contre toute opposition et obstacle.
C’est la plume de celle qui se définit elle-même comme “un petit système ensauvagé” qu’endosse l’auteure, le temps d’un hymne barbare, à la charnière entre les jardins d’une aristocratie moribonde et les étendues de la millénaire forêt de Savernake, noyée de mystère et de vivants secrets.
Un voyage passionnel et féroce dans le grand vert de l’implacable nature, filigrané par la figure énigmatique du Green-Man, le pas des cavaliers, et hanté par l’ombre obsédante du Heathcliff d’Emily Brontë.
Au travers de ses cycles primés de Vertigen et du Dit de Frontier, Léa Silhol s’est inscrite comme une figure incontournable de la fantasy mythique, et une pionnière de la fantasy urbaine en France. Sous le Lierre est son sixième roman, et le premier à décliner à la fois les gammes du roman historique, et du réalisme magique.
Fil d’Ariane
- L’auteure : le site de Léa Silhol + ses pages fb / Goodreads
- L’illustrateur : le site de Dorian Machecourt + sa page fb
- L’éditeur : le site de Nitchevo + Nitchevo Factory / Nitchevo Agency sur fb
- Sous le Lierre : coulisses et échos, sur la page consacrée au roman
- L’avis de La Bibliothèque de Faery
- Un superbe triplé d’avis sur le livre par Jackalex :
– Sur Goodreads
– Sur Sens critique : ‘Poupée gigogne pour Pr. Keating(s)’
– Sur Booknode
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