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Il Était une Fée
15 Contes entre Clair et Obscur

Anthologie thématique

Auteurs : Collectif ; dirigé par Léa Silhol
Éditeur : éditions de l’Oxymore
Collection : Emblèmythiques
Année : octobre 2000
Illustrations : couverture de Sandrine Gestin, illustrations intérieures de Sophie Guilbert

Quatrième de couverture :

Vous avez été bercés de leurs contes et croyez tout connaître d’elles ? Détrompez-vous.
Les fées ne sont pas ce que vous croyez. Leurs cadeaux sont des pièges, et leurs faveurs des prisons. Elles vivent dans un monde entre Ombre et Lumière, qui ne partage ni ne comprend nos valeurs. Pour apercevoir le reflet poignant de cette magie, nous ne pouvons qu’avancer jusqu’à la frontière, cette zone de crépuscule où la rencontre interdite entre nos univers se fait. Et ramener avec nous la brûlure précieuse d’un rire cruel ou de la douceur d’une main. Ici nous nous tiendrons, l’espace de quelques histoires ; histoires où les tours sont scellées et les nefs stellaires, où des guerres se livrent ou des amours se nouent. Et où les fées dévoilent, derrière le masque de leurs mains, des visages anciens et nouveaux ; des visages du passé ou du présent, beaux et terribles, et que nul mortel amoureux de leur peuple ne pourra oublier.

Il était une fée sur une couverture, mordorure d’ambre sur bois sombre, le geste et le regard comme une énigme, une invite, un défi. Il était quinze fois, quinze récits pétris dans la matière ancienne du conte ou du foklore, autant de rencontres uniques avec un merveilleux revisité et revivifié sous la plume d’auteurs contemporains. En message d’accueil, une préface de Léa Silhol entre battement de cœur et réflexion d’esprit curieux, à emporter avec soi tandis que l’on passe le seuil…

Pour faire entrer le lecteur en Féerie, pas de meilleure voie que la perte de repères, le bouleversement. Il attendait des fées, il trouvera une tour, hautement symbolique, dans le superbe conte de Storm Constantine, « Comment la Lumière descendit sur la Tour ». On y dit, dans ce conte, qu’au coeur dense de la forêt est une tour haute, en cette tour une belle dame enfermée pour une raison ignorée ou depuis longtemps oubliée. Certains viennent la chercher, viennent quérir ses lumières ; elle veut rester dans l’ombre, refuse le contact, croit posséder, enserrée dans ces murs, l’autonomie par rapport au monde. Saphariel, ange du sagittaire, ne veut pas de l’autre face à elle, ne veut pas du reflet, ne veut pas voir ni être vue. Et nie pourtant être aveugle. Saphariel croit savoir ce qu’elle est : elle, sans artifice. Jusqu’au jour où la réalité miroitante se présente au pied de sa tour… Une puissante (et très inspirante) entrée en matière que ce récit symbolique, qui emprunte quelques lumières au mysticisme angélique, quelques voiles à l’imaginaire féerique, quelques reflets aux souvenirs de Rapunzel ou de la Dame de Shalott – pour évoquer la force d’inertie que l’on oppose à nos impulsions vers la clarté, tout ce qui nous empêche d’afficher notre identité en pleine lumière. À l’ombre des murs de cette tour, on éprouve pleinement la suspension du temps, de la vie, la lenteur minérale du processus de guérison intérieure, de ce cheminement immobile vers l’acceptation de soi et l’affirmation face à l’autre. Et le regard du monde là-dessus, tout prêt à tisser des légendes sur les voiles dressés entre lui et soi…
Un premier pas, une merveille. Maintenant qu’il est posé que nous ne sommes pas en terres familières, la lumière abandonne ses brûlures et éblouissements de symbole pour se faire, dans « Tu es Pierre… », la promesse insouciante des prochaines vacances d’été sur la peau d’un galopin au cœur assez grand pour y cacher l’existence du vieux nuton qu’il va retrouver dans la forêt. À l’approche de son anniversaire, le garçon se verra offrir par le Petit Peuple un cadeau que l’on dirait inoubliable… Petit interlude plus bucolique, beaucoup moins marquant pour moi, cette nouvelle d’Eric Boissau offre à un conteur légendaire un hommage joliment inspiré, sentant l’enfance, la magie des étés de vacances, et les contes de France.
Avec la « Brise d’été » de Nancy Kress, on pénètre dans l’éternité de la saison figée, et dans une belle, riche réécriture féminine du récit de la Belle au Bois Dormant : et si la demoiselle, pendant tout ce temps, elle seule, n’avait pas dormi, prenant soin jour après jour des habitants immobiles ? Et si elle avait, seule, la Belle du conte, avancé en âge en guettant de loin plusieurs générations de princes, vieillissant, mûrissant ? Quel sens donner à l’épreuve du conte, si elle ne vise le baiser, la récompense d’un héros aventureux ? J’aime la réponse, magnifique, comme j’ai aimé suivre les évolutions de l’héroïne en son monde immuable.
Après ce beau passage ralenti à travers les âges de la vie, la nouvelle de Nicolas Cluzeau survient comme un souffle de fraîcheur légère, tirant de la jeunesse qu’elle met en scène une vivacité piquante, une séduisante irrévérence – sans oublier, bien sûr, cette assurance de jeune fille savante laquelle, combinée à son embarrassante inexpérience, vaudra à Deirdre de vivre sa première (més)aventure chez les fées, ces créatures dangereusement énigmatiques qui aiment entrelacer à leurs sortilèges le choix d’innocentes vierges… C’est un vrai plaisir que de voir l’héroïne de Cluzeau mettre son charme spirituel et son irrésistible caractère à l’épreuve des enchantements féeriques.
On remonte encore le temps de la vie humaine, pour une rapide incursion dans le foyer familial d’une petite fille qui croit apercevoir quelques bouts de fées : ces créatures telles que l’héroïne les devine sont sans doute de délicates petites choses, mais leur existence nous entraîne en zone d’ombre, dans ces recoins de cruauté que perçoivent si bien les jeunes enfants – par la force de l’imagination, par la puissance de l’instinct ? au lecteur de trancher, s’il peut réprimer son frisson de malaise… car l’on effleure ici l’univers brutal du conte, l’image trouble qu’il renvoie d’une réalité non moins prédatrice pour la jeunesse. Sous la plume d’Anne Duguël, l’idée même de tendresse a quelque chose d’alarmant !
Le regard intérieur bascule ensuite de la fille à la mère, avec l’émouvante reprise de l’histoire de la Petite Sirène dans la nouvelle de Melissa Lee Shaw, « La Sorcière de la Mer », balayant d’une vague les stéréotypes à la Disney. Où l’on découvre, cœur serré, que l’amour et le sacrifice de la sirène prennent leur racine dans quelque chose d’encore plus profond. Très poignante, et subtilement cruelle, la première apparition de ces thèmes dans l’anthologie !…
L’émotion se prolonge en teintes douces-amères, un peu moins fortes peut-être à mon goût, dans le conte de Pierre-Alexandre Sicart, « Le Crabe et la Fée », où un gamin rêveur prend l’apparition d’une discrète fée comme clé de compréhension d’un monde qui l’isole, d’une maladie qui menace de l’emporter.
Avec « Comme une Rose Rouge », Susan Wade nous ramène au cœur de la forêt, là où la chaumière d’une sorcière sert de jardin secret à un couple mère-fille réfugié loin de la société humaine – jusqu’au jour où le regard enflammé d’un jeune homme s’introduit dans ce petit monde clos sur un bonheur quotidien. Son arrivée va bousculer un ordre entre nature et surnaturel, et précipiter la belle Blanche hors du jardin maternel, hors de l’innocence… Encore un bel ouvrage que cette histoire, brodant sur les motifs connus du conte une précieuse image de fleur nouvelle.
De la sorcière à la fée, et toujours aussi loin que possible de l’homme et de ses lois… Michelle West fait entendre la voix superbe, cette fois, d’une noble de féerie chargée d’élever une enfant loin des rites de la chrétienté devenue trop puissante ; elle nous dit, pour une fois, le regard des immortels sur l’humanité, sa fragilité, les forces auxquels elle est soumise et qui l’altèrent à chaque instant – et son plus grand pouvoir, susceptible de changer jusqu’au cœur des fées. L’occasion pour le lecteur de quitter sa peau d’humain pour éprouver la sensation d’un temps qui ne passe pas, à travers ce récit dont la majesté même ne saurait dissimuler la pointe émergente d’un certain sentiment…
Les fées demeurent, mais le décor change de surprenante façon dans la nouvelle de Lionel Belmon, « Hexane », qui nous entraîne sur un vaisseau-spatial d’essence très spéciale pour nous offrir, esquisse sidérale, le récit endeuillé d’un mythe fondateur qui abriterait aussi entre ses racines le terreau de nos rêves humains. Au point que l’on serait tenté d’y croire, à cette majestueuse vision…
Je passerai plus rapidement sur le « Conte pour une Fée » de Pierre-Luc Lafrance, où la voix et la vision des fées se font plus triviaux, pour raconter les péripéties un peu burlesques d’un humain surnommé Cochon. À part quelques sourires arrachés par les égratignures faites au schéma classique du conte et une chute amusante, il n’y a pas grand-chose pour moi dans ce passage au ton léger.
De plus en plus, nous sortons de la forêt sur les pas des créatures féeriques. Avec le « Doux Chasseur » de Pati Nagle, nous sommes en bonne et digne compagnie, même si la traque d’honneur qui amène cet elfe en territoire urbain nous conduit en des coins plutôt mal famés. En plus d’une exploration dans les territoires que j’aime tant de la fantasy urbaine, l’histoire possède comme une force empathique, attentive aux pensées d’un être issu d’une société où la vie se respecte jusque dans les pousses des arbres, contraint pourtant à un acte de violence nécessaire, au sein d’un environnement artificiel dont la laideur même lui fait violence. Aussi loin de chez lui, jusqu’à quel point ses rituels de chasseur le protégeront-ils de l’horreur, et de ses séductions ?
« Choses Mortelles » d’Esther Friesner semble répondre en contrepoint à la « Loi des Hommes » de Michelle West. La mère est humaine, cette fois, et bien vieille, à l’âge où l’on souhaite remédier à ses erreurs de jeunesse avant qu’il ne soit trop tard. L’humanité ridée et la féerie inchangée, intriguée, se regardent dans les yeux des années après s’être passionnément enlacées, et tentent de démêler les nœuds d’une énigme où il est question d’un enfant perdu, des violences de l’amour-propre, et de la puissance en face de l’amour. Je ne suis pas près d’oublier le dénouement, les derniers mots de cette nouvelle terriblement belle, où s’entrelacent suspense, sens et sensibilité pour tisser une histoire qui prend à la gorge.
La charge émotionnelle ne se relâche pas pour autant. Dans « Passer la Rivière Sans Toi », où une princesse de sang féerique rejoint la ville pour retrouver sa mère humaine restée de notre côté il y a bien longtemps, il est encore une fois question d’amour maternel, de sacrifice, d’amour filial en retour. Parce que les portes du Domaine des Fey se fermeront bientôt à jamais, marquant une rupture définitive avec l’humanité, tout dans la nouvelle, merveille et douleur, n’est est que plus vif, à vif, brillant ou brûlant. L’enchantement est d’une beauté terrible quand s’y mêle une sensation de fin imminente et le pressentiment d’un choix impossible… J’ai beau, soit dit en passant, m’être détournée depuis des publications de Fabrice Colin, passablement écoeurée par ses activités de ligueur et autres interventions peu ragoûtantes, reste qu’à une époque, ses œuvres avaient su me toucher (et que les relire maintenant ajoute une dimension étrange, un arrière-goût de ‘est-ce que c’était vrai’…) – bref.
Avec « La Guerre de l’Oubli », intégrée à un cycle plus vaste de nouvelles toutes consacrées à divers épisodes de cette lutte féerique, Claude Mamier offre à l’anthologie un finale redoutable, tout en fureur guerrière et amères nuances de regret. Plutôt que de laisser la rupture s’accomplir et leur peuple se consumer dans l’oubli, les fées choisissent une manière bien radicale de se rappeler au souvenir des hommes. Le lecteur, lui non plus, n’oubliera pas de sitôt les visions de cette guerre, et de ce qu’elle fit de la féerie.

Le peuple de féerie comme le petit monde vivant dans les profondeurs du conte doivent beaucoup (n’en déplaise à certains éditeurs/auteurs de ‘dicos’ à la très courte mémoire) au travail de découverte et d’exploration passionnée, militante aussi, conduit et impulsé il y a quelques années par les éditions de l’Oxymore, notamment en la personne de Léa Silhol – à la fois auteure, éditrice, anthologiste, et tout entière à chaque fois. Car pareille anthologie, ça vous altère le regard comme un don octroyé de seconde vue : parce que le vernis de naïveté du conte, l’illusion trop fréquente d’une féerie mignonne ont été, le temps de quelques récits merveilleux, ôtés sous vos yeux de lecteur – ôtés de vos yeux ? –, toujours et partout désormais vous irez voir à travers les apparences inoffensives, uniformément roses ou grises – à travers, et au-delà : la magie, la Féerie, once and for all times.

Le Fil d’Ariane

Cartographie

Avant-propos de Léa Silhol, « Il était une Fée : l’intention et le geste »
Storm Constantine « Comment la Lumière Descendit sur la Tour » – Eric Boissau « Tu es Pierre… » – Nancy Kress « Brise d’Eté » – Nicolas Cluzeau « Erreur de Jeunesse » – Anne Duguël « Comment j’ai découvert que mes Parents étaient des Ogres » – Melissa Lee Shaw « La Sorcière de la Mer » – Pierre-Alexandre « Le Crabe et la Fée » – Susan Wade « Comme une Rose Rouge » – Michelle West « La Loi de l’Homme » – Lionel Belmon « Hexane » – Pierre-Luc Lafrance « Conte pour une Fée » – Pati Nagle « Doux Chasseur » – Esther Friesner « Choses Mortelles » – Fabrice Colin « Passer la Rivière sans Toi » – Claude Mamier « La Guerre de l’Oubli »

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