C’est bon, je me rends.
Quatre semaines. Quatre putains de semaines que je tourne en rond dans ma tête et dans ma chambre, à essayer de rédiger pour vous un pauvre petit article sur Babel Tour – l’intéressante antho que les étudiants en master d’édition de la Sorbonne ont publiée à l’occasion du Salon du Livre 2008, dont Israël était l’invité d’honneur cette année-là… Quatre semaines de débâcle totale, chaque brouillon aussitôt né, aussitôt dézingué – rageusement, parce que jugé trompeur, ou masqué, ou trop léger, ou trop biaisé, bref à des lieux, toujours, de l’approche à coeur ouvert vers laquelle je tends.
Et je comprends bien pourquoi.
Babel Tour, guide de voyage en cités cosmopolites, m’avait attirée tant par son concept que par le patchwork de visions et de voix tissé autour des villes, des ziggourats, des peuples et des langues qui s’y croisent ou s’y mêlent. Seulement voilà, à mi-chemin de mon excursion littéraire en Babel, j’ai passé la frontière vers un quartier vivant, fascinant, le plus brûlant et le plus beau à mes yeux… et je n’en suis pas ressortie, ni n’en ressortirai (quitte à revenir plus tard à notre Tour de Babel) avant d’avoir pu évoquer une nouvelle qui, à elle seule, figure dans mon top des lectures-choc de 2008 et de toujours – et même alors, je pense, une part de moi restera là-bas, ou bien j’emporterai moi-même un bout de cette terre-là, les échos de ces mots, leur roulement sous ma langue. D’ailleurs, voyez…
Plusieurs mois après la première lecture, ce texte continue de me coller de salutaires raclées.
Exit les poses de lecteur, donc, and enter « Shinear« .
Texte percutant sur le thème crucifiant des divisions de l’humanité, cette « nouvelle très particulière » de Léa Silhol entraîne son lecteur en terrain miné, pas très loin du labyrinthe de Fo/vea, pour un prenant voyage dans les rues des villes, au coeur du mythe, et vers les hommes – vers l’Autre, surtout.
L’oeuvre s’ouvre en effet comme un étrange album de voyageuse, présentant dans ses pages une Babel saisie au fil des années, en filigrane dans les vues de quelques-unes de ces villes où les cultures et les identités s’affrontent plus qu’elles ne se touchent. On les découvre, ces cités, à travers le regard impliqué, douloureusement et furieusement lucide, d’une artiste témoin et non touriste : bien plus qu’une passante, donc, une véritable passeuse. Et qui ne manque pas, au fil de ses errances en villes aimées que la haine divise, d’asséner avec précision ses vérités aux hommes, ou de prendre Dieu à partie.
Loin d’arrêter son voyage une fois l’album parcouru, l’auteure se tourne alors vers une issue possible, au-delà des barrières et des divisions, et le lecteur, terrassé l’instant d’avant, la suit dans les transports de l’espoir, parcourant ainsi le spectre du langage – des injures haineuses à ces mots de compréhension et d’amour que seuls peuvent trouver en eux ceux que la vie a déjà bien abîmés, et qui voudraient à travers leurs paroles réparer le monde dans les yeux de l’Autre.
Et pour nous mener de ville en ville et infiniment plus loin encore – mais aussi tout près, au plus intime -, la voix et les rythmes forment une musique obsédante, qui se grave à l’esprit, fait vibrer coeur et langue, et nous communique ainsi sa pugnacité de rap, son émouvante romance en duo musical, ses ferveurs de prière, l’ardeur de son chant final. Il y a cela dans le chant de « Shinear », une puissance capable de vous couper les jambes pour donner à vos marches un nouvel élan vers ce qui importe vraiment aux hommes, de vous couper le souffle et dans le même temps en insuffler un autre, intense et essentiel.
Et ainsi, Léa Silhol, qui déclarait dans un questionnaire que ce qu’elle déteste le plus dans son physique, c’est de « ne pas avoir dans les veines une goutte de sang de chaque peuple au monde », a créé une oeuvre susceptible de toucher profondément tout être humain, quelles que soient ses origines. C’est ainsi que je ressens ce texte fort, un acte d’union à travers l’art, un appel vrai, et accompli, à dépasser les frontières que peuvent former les langues, les couleurs, les religions. Ses paroles m’accompagnent désormais, couperet et colère quand je vois le monde aller de travers, espoir lorsqu’une rencontre humaine me donne envie de les murmurer pour quelqu’un.
Je ne vous les dirai pas, cependant, car je me suis déjà trop tenue entre l’oeuvre et vous, alors je me contenterai de ceci : Babel Tour n’est guère facile à dénicher, désormais ; si toutefois vous le trouvez sur votre route – cet ouvrage ou, qui sait, un jour, « Shinear » dans une infoliation nouvelle et espérée – sans hésiter suivez le guide : écoutez sa voix. Ecoutez…
Le Fil d’Ariane :
- La page Myspace de Babel Tour
- La section consacrée à « Shinear » sur le site de l’auteure
« Il faut que le larsen sorte », she said.
May she be heard.
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Yes !
(Alors ça y est, tu l’as lu ? :))
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