C’est l’heure du bilan des so-called « lectures de l’été » sur les blogs littéraires, non ?
Ma foi. Nous en fîmes par ici de fort édifiantes. Rapport d’activité de la BnF, du SNE, lettre d’information de la SOFIA : pour les institutions ReLirresponsables, l’heure était également au bilan. Et qui dit bilan dit…
… communication ? Raté. Auto-congratulation.
… regard critique ? Toujours pas. Panégyrique.
Telle est la ligne du Parti, telle qu’elle se dessinait déjà à l’heure des célébrations de l’ouverture de la chasse aux orphelins et aux indisponibles, lors du Salon du Livre : il s’agit de faire dans la propagande, non dans le dialogue. Préférer le spectacle sous le chapiteau, plutôt que le débat au chapitre. Marteler des formules à destination du public, pour se dispenser d’emporter la conviction et la confiance de ceux que l’on prétend embarquer d’office dans une boiteuse et coûteuse équipée.
Sachant qu’il y a remise en cause fondamentale du droit d’auteur, on aurait pu s’attendre à ce que le projet et son appplication soient au point, impeccables sur le fond comme sur la forme – au moins ça, non ? Quelle naïveté, voyons. Non seulement le travail fut bâclé, mais il n’est pas question de l’admettre ouvertement. Leçon d’expression ReLIttérAiRe : On ne dit pas ‘on a salopé le boulot pour que tout soit prêt pour les flonflons du Salon’, on dit ‘Le développement de la première version du registre ReLIRE a été assuré par l’équipe de la BnF en un temps records‘. Et on applaudit.
Et puisque tout va bien, cachez cette résistance que l’on ne saurait voir. Cachez, surtout, la légitimité et la pertinence de son vote de défiance.
Un jour de gueule de bois (gagnée à trop laisser parler les langues faites de la même matière), un Diable frondeur nous glissa l’inspiration en réponse d’un petit exercice de relecture littéraire.
Parce qu’un lecteur sachant lire sans ReLIRE est un sage lecteur, voici ébauché un…
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Petit lexique de rhétorique ReLIttérAiRe
Auteur
Empêcheur de numériser en masse. Esprit rétrograde dénué de sens pratique, et incapable de s’adapter aux évolutions du monde moderne : c’est lui rendre service que de prendre le contrôle de ses oeuvres. A le mauvais goût de défendre une vision d’artiste. Pop. Privilégié.
Exemples :
« Les auteurs ont une vision d’artiste, mais elle est ingérable » – Christian Roblin, directeur de la Sofia
« (…) la BnF a été chargée d’intervenir à la place des auteurs, qui ne le font pas » – Hervé Rony, secrétaire général de la Scam
Un auteur favorable au projet ReLIRE est un représentant éclairé de ses confrères, une garantie morale ; un auteur qui s’y oppose est un rebelle, un frondeur, et pour tout dire un paranoïaque.
« Honnêtement, toute cette affaire est une baudruche démente et paranoïaque. » – Belinda Cannone, membre du Conseil d’administration de la SGDL, réagissant à la « fronde » des auteurs
Communication
Doit faire l’objet d’une campagne, menée à destination des auteurs avec une diligence plus pastorale que martiale.
Contrat d’édition
Archaïsme du 20e siècle, laborieuse pratique d’édition dont on peut se dispenser avec bénédiction de la loi, au nom du patrimoine de la même période.
Exemple :
« Pour éviter d’avoir à renégocier chaque contrat d’édition au cas par cas, la loi aménage l’exercice ordinaire du droit d’auteur en instaurant un nouveau système de gestion collective » – Rapport d’activité 2012 de la BnF
Droit d’auteur
Edifice juridique faisant obstacle à l’exploitation commerciale des orphelines.
Toujours considéré avec un strict ou parfait respect, même lorsqu’on l’aménage ou l’assouplit. (La BnF, la Sofia, le SNE et le ministère de la Culture tiennent à la disposition des lecteurs dubitatifs un set de marteaux pour mieux s’enfoncer la formule dans le crâne.)
Étranger (auteur)
Normalement privé du privilège de se voir retirer ses droits. Pour prétendre à cette exclusion, l’auteur étranger doit avoir publié son livre hors de France et de Navarre, ou ne l’y avoir introduit que sous forme traduite.
La francophonie ReColonisée appréciera sans le moindre doute de n’être pas traitée en étrangère. Ah, France accueillante…
Le Malin et le modèle.
Exemple :
« À l’origine, ce projet a été conçu pour répondre à une double remise en cause du droit d’auteur : d’un côté, Google a commencé en 2005 à numériser les fonds de bibliothèques américaines sans autorisation préalable des ayants droit (…) » – SNE, « L’édition en perspective », rapport d’activité 2012-2013
Opposition
Preuve que l’auteur (ce privilégié) n’est pas privé de ses droits. Il est donc prié en retour de faire opposition sans pour autant se faire opposant.
L’opposition se formule par demande, pas trop fort, et à grand renfort de pièces justificatives.
Exemple :
« L’auteur me paraît au contraire très privilégié : il peut faire opposition, retirer sans explication une oeuvre s’il l’estime nuisible à sa réputation. » – Christian Roblin
Partenariat
Forcément exemplaire, surtout lorsqu’il scelle l’alliance du public et du privé. La BnF constitue un spectaculaire modèle du genre.
Exemple :
« Le lancement, à la suite du rapport Rocard-Juppé fin 2009, du « Grand Emprunt » a ouvert une source de financement et permis d’imaginer un projet collégial, se caractérisant à la fois par un parfait équilibre des droits entre auteurs et éditeurs et un partenariat public-privé exemplaire, rassemblant d’un côté l’interprofession à travers le SNE, la SGDL et le Cercle de la Librairie, de l’autre le ministère de la Culture, la BnF et la Caisse des Dépôts. » – SNE, « L’édition en perspective », rapport d’activité 2012-2013
Patrimoine littéraire
Richesse culturelle qu’il convient de sauver du gouffre sans fond de l’indisponibilité commerciale. En toute abnégation, bien évidemment.
Public
Ensemble des consommateurs. Groupe tout-puissant à qui l’Etat attribue – et passe, avec une bienveillance paternelle – le caprice de tout vouloir, tout de suite.
Exemple :
« Parce que ceux qui écrivent le font pour le public » – Table ronde ReLIRE
Bien public : intérêt supérieur justifiant que l’on sabre les droits d’une catégorie d’individus au profit d’un groupement restreint d’intérêts privés.
Base de données publique (cf. Relire) : interface rudimentaire mais perfectible libéralement financée par les deniers collectifs, et dont les données répertoriées, ajoutées selon le bon vouloir du public et corrigées selon sa bonne volonté, déterminent le devenir d’oeuvres par dizaines de milliers sans consultation préalable ni information nécessaire de leurs créateurs respectifs (et irrespectés). Dispositif éventuellement gangrené d’erreurs.
Exemples :
« Art. 134-2. – Il est créé une base de données publique, mise à disposition en accès libre et gratuit par un service de communication au public en ligne, qui répertorie les livres indisponibles. La Bibliothèque nationale de France veille à sa mise en œuvre, à son actualisation et à l’inscription des mentions prévues aux articles L. 134-4, L. 134-5 et L. 134-6.
« Toute personne peut demander à la Bibliothèque nationale de France l’inscription d’un livre indisponible dans la base de données. –Loi n°2012-287 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle« Il [le registre ReLIRE] permet également au public de signaler à la BnF les erreurs éventuelles : il n’existe pas de base de données recensant de façon exhaustive la disponibilité des livres pour l’ensemble du XXe siècle. Le registre est donc perfectible, et sera amélioré de manière collaborative grâce aux demandes de correction. – Rapport d’activité 2012 de la BnF
Relire
En minuscules et à l’état de verbe, droit non contractuel attribué par Pennac au lecteur.
En majuscules et à l’état de base, zone de non-droit infligée par l’Etat à l’auteur.
Rémunération
Celle-ci sera définie ultérieurement. Les auteurs du lexique vous prient d’en accepter d’avance les termes en apposant votre signature au bas de la notice vierge (merci de bien vouloir pour ce faire vous bander les yeux), et vous assurent que la part du sarcasme ne pourra pas être supérieure à celle de la science.
Transparence
S’applique au choix des auteurs, éditeurs et ayants droit de livrer ou non leurs ouvrages au système de gestion collective.
Pour les retraits décidés par les gestionnaires du registre, en revanche, l’opacité s’impose.
Exemple :
« Ce projet patrimonial est une opportunité, pour les auteurs et les éditeurs, de donner une seconde vie, grâce à la numérisation, à des oeuvres qui n’étaient plus disponibles commercialement, la base ReLIRE étant garante de la transparence de leurs choix. » – SNE, « L’édition en perspective », rapport d’activité 2012-2013
Vingtième siècle
Certains historiens le font commencer en 1914 ; d’autres, ReLIRiens, le prolongent jusqu’en 2013.
*
En guise de postface…
Notez que si cette petite compilation lexicale réalisée in progress n’offre qu’un tour d’horizon partiel des problèmes soulevés (niés) par ReLIRE, et de la manière dont les auteurs ainsi que le public sont très officiellement pris pour des cons, la conclusion est quant à elle entière, nette et adamantine.
Tout ce *jaune*. Même symbolique chez les fleuristes et les grévistes, pour cette couleur-là. (et le rire. Ne jamais oublier le rire)
Intéressant, n’est-il pas ?
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Le graff’ urbain selon la BnF… (on n’en fera pas un artbook… ni un art tout court)
Ah bien vu ! je n’avais pas pensé à la symbolique gréviste… mince alors – on comprend mieux l’étendue de l’invasion jaunâtre, alors. Grrr.
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[…] pensais de ce discours. En version courte : bullshit. (Pour une version plus longue, cf par ex. le Petit lexique de rhétorique ReLIttérAiRe compilé ici […]
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