Cannibales
Recueil thématique
Auteur : Yael Assia
Publication : Books on Demand
Année : 2008
Photographie de couverture : Fauxware
Quatrième de couverture :
Ils mangent. Se mangent. Se bouffent. S’avalent les uns les autres. Se déchiquètent, se digèrent, se mâchent, se recrachent, se vomissent ; ils s’aiment, se haïssent, se jaugent, se combattent, s’évitent.
Une femme avachie dans son sofa retrouve l’homme qui l’a abandonnée devant l’autel deux ans plus tôt, le jour de leur mariage. Le client d’une prostituée tente une curieuse expérience. Dans un hôpital psychiatrique, un homme se souvient de son enfance. Une trentenaire frigide essaie de sauver son couple, mais à quel prix ? Et qui le paiera ? Une jeune femme agressée se décide à un dangereux face à face.
Cinq histoires et cinq traumatismes : à affronter, à dépasser, à effacer… A chacun de faire son propre choix.
J’avoue, au moment de libérer ce livre mince du film plastique qui en maintenait les pages bien fermées sur les mots de Yael Assia, j’avais un peu les mains tremblantes. Elles n’avaient rien oublié, les fidèles, du poids et de la texture d’un autre recueil publié il y a quelques années aux éditions de l’Oxymore, par la même auteure et sous un autre nom ; et tenir cette nouvelle oeuvre nous a collé une putain d’émotion, à elles comme à moi.
Une soixantaine de pages, cinq courtes histoires : je croyais que ce serait rapide, qu’en bonne bibliophage je les aurais vite dévorées – et ce sont finalement ces Cannibales qui, dès les premières lignes et depuis, m’obsèdent et me rongent. Saisie par la peau du cou, et le temps pour moi de comprendre vers quel gouffre infernal on m’entraînait, il était trop tard. J’ai eu beau résister, m’arquer pour expulser les premiers infiltrés de ces mots qui me couraient sous la peau, m’arc-bouter tel un mulet… déjà je faisais un pas dans l’oeuvre, et très vite un deuxième, tendue sur mes pattes mais forcément vacillante et vaincue d’avance – bouleversée de fond en comble, de l’épiderme aux tripes, et subjuguée par la force des mots, des émotions, de la pensée de l’auteure. Balayées mes attentes de lectrice, mes souvenirs de l’intensité de ces douze heures déclinées du crépuscule à l’aube, pour faire place nette aux sensations violentes transfusées droit de l’encre au sang. Et le sang de virer noir, car l’univers de ces nouvelles est bien sombre…
Cinq nouvelles, donc, cinq Cannibales, et derrière chacun d’eux une âme à vif, toute sanguinolente des blessures de l’enfance, des plaies du couple, des morsures et coups de couteau que s’infligent jour après jour les êtres enfermés dans leurs relations humaines comme dans une cage à fauves. Entre malbouffe et mâle-bouffe, le festin est amer, la coupe bue jusqu’à la lie, pour les enchaînés de cette table : la femme abandonnée se soignant par un régime à base de menus solo et de mots sauce piquante, et celle que la solitude et l’incompréhension des autres empêchent de digérer une gifle et la peur ; le gentil Poussin qui trouve bien étroit le passage vers son nid, et ce couple qui se heurte encore et toujours à une porte fermée ; et au milieu de ces convives, Josh, livré en pâture à d’anciennes souffrances, déchiffrant le monde à l’aide de symboles religieux qu’empoisonnent les souvenirs d’enfance…
Mais en évoquant ainsi le rouge des chairs exposées et la noirceur dans laquelle se débattent les personnages, je n’oublie pas non plus la blancheur de la couverture – cette nuance clinique des esprits qui n’hésitent pas à couper, trancher, disséquer au scalpel, mettre les doigts dans des plaies qui souvent sont ou furent les leurs, quitte à se retrouver couverts de fluides corporels, pour donner à voir et aider à comprendre. Pour pousser le lecteur, violemment, avec mordant, à sortir de la litanie des « même pas mal, même pas peur, non non non », et l’inviter alors à une danse en équilibre fragile au-dessus du vide et de la folie, sur le fil tendu de nos nerfs, nos désirs, nos angoisses – ce fil qui jette un pont entre le blessé d’autrefois et le bourreau d’aujourd’hui. L’exposition sans voile protecteur de la souffrance et des marques insoutenables qu’elle laisse dans les chairs, une lucidité à l’oeuvre sans complaisance, voici la base des foods for thought que le recueil met au menu ; et pour unir cette fragilité et cette force dans une harmonie inattendue, la belle puissance des mots de Yael Assia, une musique qui d’emblée vous accroche l’âme pour mieux lui apprendre l’art et l’abandon de la chute.
Et ainsi ces nouvelles de Cannibales où l’on mord et dévore et digère et rejette, échappent elles-mêmes au cannibalisme : leurs vérités sont trop dures et brûlantes pour être bêtement avalées sans s’étouffer ou cramer de l’intérieur. Le recueil semble donc dépasser tout cela pour tendre vers l’espoir d’une autre relation, via le dévoilement et le partage de toutes ces blessures que l’on cache ordinairement – vers la compréhension par l’art. Et vous savez quoi ? Je crois que s’il m’est donné un jour de découvrir la version longue de ce recueil (évoquée ici), ou toute autre oeuvre de l’auteure, j’aurai encore les mains qui tremblent, émues de pouvoir éprouver une nouvelle fois la poigne de feu, puissante et précieuse, de Yael Assia.
Le fil d’Ariane :
- Le blog de Yael Assia
- La page de présentation de Cannibales sur le site Books on Demand
Cartographie :
Menu Solo – Poussin – Zombies – Heaven’s Door – La Gifle
Hé bé ! Il t’a fait de l’effet, ce recueil. Je ne connaissais pas cette maison d’édition. Entre la couverture et le titre, pas sûr que je me serais attardée dessus mais ta chronique change la donne. Est-ce que ça ressemble a du Poppy Z. Brite ?
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Magnifique chronique, encore. Il faut que je lise ce livre, oui!! Et à saluer le prix du bouquin et l’initiative de l’auteure.
Merci Hélène pour la découverte!
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@Laetitia :
Si un livre ne me fait pas « d’effet », d’une manière ou d’une autre… juste je n’en parle pas ;) Mais yep, c’est un recueil qui a de quoi marquer son lecteur !
Pour Poppy Z. Brite, je n’ai pas lu assez de ses textes pour pouvoir te répondre (outre que je me méfie toujours un peu de ces comparaisons a priori…) J’aurais quand même tendance à dire qu’on ressent quelque chose de plus fort, et de plus impliqué, dans les oeuvres de Yael Assia – mais au niveau des thématiques, mes rares lectures de PZB sont vraiment trop lointaines, donc… joker ^^’
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@Anne :
C’est surtout Lucie qu’il faut remercier, si elle ne l’avait pas signalée je serais certainement passée à côté de cette publication (ce qui aurait été carrément too bad !) :-)
Et je te rejoins, respect pour cette démarche qui ne doit pas forcément être évidente à accomplir…
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Bonjour et d’abord merci beaucoup pour ce très bel article, sincère (ça se sent), que je ne mérite peut-être pas :)
Et merci aussi, en effet, à Lucie… que ferait-on tous sans Lucie ? :)
J’ai été très touchée de voir à quel point mes cinq petites nouvelles t’ont émue – l’air de rien, en les écrivant (et malgré le détachement apparent) j’y ai mis beaucoup de moi-même… mais enfin, comme tous les auteurs, je crois.
Poppy Z. Brite, j’aime beaucoup, elle a marqué une phase importante de ma construction de nouvelliste (comme Neil Gaiman, Stephen King, Jonathan Carroll, Thomas Gunzig, Léa Silhol, Gary Braunbeck et de nombreux autres… en fait, j’aime beaucoup le format nouvelle et les rares auteurs qui la pratiquent… je pourrais citer aussi Vercors, FX Toole, Mishima, F. O’Connor et bien d’autres… mais du coup je n’en finirais pas !)
Dans le côté organique, étant passée par une formation cinéma (et quelques années de tournages gore – ça m’a peut-être bien influencée aussi ;), je dirais que quelqu’un comme Cronenberg m’a au moins au tant influencée que Poppy Brite : tout son travail autour du corps, de l’organique, l’altérité, l’ingestion etc.
Et quant à l’éditeur, BOD n’est pas à proprement parler un éditeur, mais un prestataire d’édition à la demande. Une sorte de « publisher » clé en main, en fait :)
L’auteur ne paye rien à la base (enfin du « symbolique »), mais s’occupe d’absolument tout : couverture, mise en page, etc. Alors il y a des petites imprefections (on ne passe pas sans cicatrices de l’écrin d’Oxymore au livre – je me permets un clin-d’oeil ! – « fast-food »), mais pour moi c’était une transition nécessaire : j’avais ces cinq nouvelles écrites l’été après deux ans de blocage total et l’envie de les voir « naître » très vite, de les « donner »… et pas trop envie de gérer le rapport forcément difficile avec un nouvel éditeur… qui en plus m’aurait demandé d’attendre d’avoir au minimum quinze nouvelles ! … et, vu le peu de succès du format nouvelles en France, ne m’aurait peut-être même pas publiée).
Donc voilà. C’était une expérience voulue, choisie, gérée de A à Z (pas parfaitement, mais c’était nécessaire).
Autre point positif à mon sens : j’ai pu également choisir le prix. Et je l’ai fixé au plus bas (je sais bien que les temps sont durs, hum).
Et ça marche mieux que je ne l’aurais pensé donc j’ai ma récompense… et quand je lis des articles comme celui-ci, je suis encore plus récompensée :)
Alors merci encore et que ceux qui veulent n’hésitent pas à me poser des questions ou me donner leurs avis, que ce soit en privé ou sur l’espace « commentaires » d’amazon : j’en suis toujours très heureuse,
voilà :)
Yael
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Tu as appris la nouvelle ? Les éditions Nuit d’Avril ont été placées en liquidation judiciaire. c’est vraiment dommage ! J’avais lu les trés bons recueils « Le poisson bleu nuit » de Cabasson et « Les loges funèbres » de Deslandes. Il me restait à découvrir « des roses et des monstres » et « le cabaret vert » de Valls de Gomis entre autres.
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@Yael :
Un grand merci pour toutes ces précisions ! :) Le système de publication à la demande est un domaine que (de mon point de vue de lectrice) je connais encore très mal, aussi cet aperçu de l’expérience et de la démarche à l’oeuvre est plus que bienvenu :-)
(Quant à la question du prix… comme le disait Anne, cette pensée pour le lecteur est appréciée… d’autant que la ‘dureté des temps’ ne doit guère épargner les artistes, et pas seulement au niveau financier – cf ce que vous dites sur le succès des nouvelles, qui est un format que j’adore aussi !)
Donc merci pour tout ça, et deep bow pour le résultat ! et… au plaisir, toujours et plus, de vous lire ?… :)
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@Laetitia :
Oui, je suis au courant, on évoquait encore tout récemment sur le forum de La Lune Mauve cette fermeture qui fait mal :-((( Y étaient publiés pas mal de nouvellistes que j’aime bien (ceux que tu cites notamment…)
Btw, si les books qui te restent à découvrir ne sont pas encore dans ta pile, apparemment tu peux toujours, pour l’instant, te les procurer par correspondance auprès de l’éditeur…
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@ Psyche et Yael : mais heu ! J’y suis pour rien, moi ! j’ai juste dit sur un ou deux forums où je savais que trainaient des lecteurs de Lélio que Yael Assia venait de sortir un livre, c’est tou !
Et c’est une très belle chronique pour un très bel ouvrage, bravo !! (à vous deux :-)))
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touT avec un T
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JOYEUSES FËTES psychée ! Plein de beaux livres à lire en cadeaux…
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Bonne année et meilleurs vœux 2009 !!
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Je squatte honteusement ce billet pour te souhaiter une bonne année et formuler l’espoir de te lire encore souvent.
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Merci Algernon, une belle année à toi également ! C’est bon de te voir de retour, btw :-)
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Wow, retrouver par hasard la trace de Lélio ! … Et pour une telle critique, brrr. Merci, il faut que je lise ça, maintenant.
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Mince pour l’incendie. Perdre des choses dans ce genre d’accident doit vraiment être terrible.
Et merci pour le lien !
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